Nous pédalons au rythme des montagnes, entre pluie battante, forêts profondes et rencontres inoubliables. Chaque virage est un choix, chaque halte un rituel, et au cœur de ce voyage, l’anniversaire de notre fille devient une célébration de la vie sauvage. Le Japon nous dévoile son âme, et nous nous y perdons avec gratitude.
De la pluie, encore de la pluie. Aujourd’hui, nous rejoignons un petit camping entouré d’un fil électrique comme protection contre les ours. Ces derniers sont nombreux dans la région. Nous sommes pourtant à moins de 50 km de Morioka, la capitale de la préfecture d’Iwate. Abrités sous des cèdres japonnais, nous nous sentons bien. Il y a une douce odeur boisée. Cependant, cette nuit, il a à nouveau plu. Nous sommes face à un dilemme, passé par le lac Tazawa ou rouler au pied du volcan actif d’Iwate. Nous avions envie de suivre les petites routes au cœur des montagnes, mais cette fois la météo est intransigeante. Il est certainement préférable de suivre la vallée. C’est décidé ! Nous optons pour cette voie. Au fur et à mesure des kilomètres, la vallée se resserre. Les montagnes entremêlées se dessinent de chaque côté. Les teintes de sommets indiquent la profondeur du panorama, devenant de plus en plus pâles dans un dégradé incroyable. Nous suivons une piste cyclable qui longe la rivière. Elle se faufile dans la végétation. C’est agréable de jouer entre les plantes dont les feuilles sont parfois plus grandes que des parapluies. Puis, ce sont des arbres majestueux qui apparaissent, ici un ginkgo, puis un acacia avec son parfum envoûtant. Soudain, le mont Iwate et les lignes majestueuses de son cône se dévoilent furtivement. Pourtant, nous essayons de rouler au plus vite à son pied afin d’y planter la tente avant la prochaine averse.
Arrivés, le petit camping d’Asobito nous accueille. En pleine semaine, nous sommes seuls. La propriétaire est chaleureuse et nous invite à monter la tente sur une plateforme protégée. Nous nous installons alors qu’un vent puissant se lève. Le mont Iwate s’élève face à nous. Ce strato-volcan dessine le paysage de son sommet isolé. Cependant, les nuages ont complètement englouti son sommet. De grandes balançoires font le bonheur des filles, alors que quelques chèvres des montagnes nous regardent avec intérêts.
Nous restons finalement deux jours et y fêtons l’anniversaire à Nayla. 12 ans ! Nous sommes à nouveau dans l’année du serpent. Un cycle complet. L’endroit est parfait, vaste, au pied d’un volcan actif. Cela représente bien Nayla, sa force de feu et à la fois la grandeur des espaces. Elle porte toujours en elle cette puissance des hautes cimes de l’Himalaya. Elle incarne une âme sauvage, un vent libre que rien ne peut enfermer. À six ans déjà, elle rêvait de vivre avec les ours, de courir avec les meutes de loups, et de se fondre dans les paysages aussi vastes qu’infinis, aussi sauvages qu’isolés.
Pour son anniversaire, nous faisons des crêpes, puis du riz, courges et bokchoy, et pour le gâteau c’est un crumble maison. "Avec une purée de pomme de terre cuitent à la marmite à pression et pour la partie croustillante des flocons d’avoine et des amandes effilées, dorées dans du miel. Le tout sur notre réchaud à essence. Puis dans nos tasses, nous déposons, un biscuit au chocolat, du yogourt, la purée de pomme, le croustillant et un peu de crème fouettée comme touche finale". Avec un peu d’imagination, il est possible de préparer sous tente des mets incroyables. Puis des wraps pour le repas du soir.
Il est temps de repartir. Fibie n’aime pas trop les départs. Ses pas ralentissent à l’instant de partir, comme si les lieux murmuraient encore son nom. Même si l’appel de l’inconnu la fait frissonner d’envie, même si l’horizon lui tend les bras, il y a dans chaque lieu un reflet d’elle-même qui résonne, un battement de cœur, une empreinte douce. Elle ne peut partir sans se retourner. Elle a besoin d’un adieu — doux, sincère, un au revoir de gratitude chuchoté à la lumière qui glisse sur l’écorce de l’arbre qu’elle a grimpé. Fibie, avant de se jeter dans le vent de la prochaine aventure ou de la prochaine rencontre, prend le temps d’embrasser ce qui l’était là pour elle. Alors je la vois courir d’un lieu à l’autre, embrasser les arbres, puis à mon plus grand étonnement, elle s’allonge sur le sol et dit « Merci », comme pour remercier les gardiens invisibles du lieu. Chaque départ est un rituel, un remerciement silencieux à la vie qui l’a traversée ici.
Nous reprenons la route. Le Mont Iwate est toujours caché derrière les nuages sombres. Hier soir, des éclairs ont chahuté le sommet. Mes sens étaient en alerte toute la nuit, sans que je puisse pour autant identifier ce qui me perturbait. J’étais aux aguets, mes sens, mon instinct devaient percevoir une perturbation que je n’ai pas vue. Je n’ai simplement pas pu entrer dans un sommeil réparateur, constamment réveillée. La dernière fois, c’était en sursaut dans ma somnolence, par les aboiements d’un chien au tréfonds de mon inconscient. J’ai senti alors la peur s’engouffrer en moi. Au cœur de la nuit sombre, sans échappatoire. Les peurs vibraient en moi, pompant mon énergie et nourrissant dans mon esprit de potentiels scénarios que je me hâtais de faire disparaître. J’essayais de ressentir la présence d’un potentiel danger. Pourtant, je ne me sentais pas en danger, mais il y avait une présence suffisamment perturbante pour que je reste aux aguets toute la nuit.
Cette fois, nous passons à travers les montagnes. Nous grimpons un col qui nous emmène vers la station de ski d’Api. Lorsque nous arrivons au sommet, haletant, nous rencontrons un ours. Un ours à collier, un ours de l’Asie. Il a un pelage noir si luisant. C’est un jeune et je ressens son esprit malicieux. Si hier soir, les ours faisaient partie de mes scénarios terrifiants, celui-ci m’apporte une touche de réconfort. C’est comme s’il me permettait de me relier à l’énergie de ces plantigrades. C’est comme si je pouvais à nouveau m’autoriser à vivre et naviguer sur les mêmes territoires qu’eux. Il était là pour me relier aux esprits des animaux, ceux sauvages et indomptés. Il me permet d’entrer pleinement sur le territoire et d’en faire partie.
Nous poursuivons vers le deuxième col et au sommet, nous découvrons un petit abri. Un souffle glacial s’est levé, tempétueux. Nous profitons du lieu pour faire à manger, et soudain, les nuages noirs se transforment en averses. Il pleut à nouveau. Nous décidons de rester au col et de passer la nuit sous tente au cœur de la forêt. Reliée à la terre, cette nuit est douce. Bercée par les hautes énergies du lieu, j’ai alors vraiment la sensation d’appartenir à quelques choses de bien plus vaste, d’être reliée.
Le lendemain, 40 kilomètres de descente. Nous passons au cœur d’une forêt vivifiante. Nous sommes plongés dans ce monde, comme si on entre un sanctuaire que seule la route perturbe. D’ailleurs, je ressens même le changement de préfecture, à peine 2 minutes avant le panneau. Comme si tout indiquait qu’on entrait dans un autre univers. Ce lieu est inspirant, nous sentons que cette forêt est reliée sans discontinuité jusque vers le cœur de Tohoku et ses hautes montagnes. Puis nous entrons dans une petite plaine au cœur des montagnes, et arrivons à Kazuno.
Nous sommes alors accueillis par Akina, Takeshi, les parents et Manoto, Maho de 6 et 2 ans. La journée se passe avec comme refrain les rires des enfants. Nous faisons aussi un tournoi de foot tous ensemble pour le plus grand bonheur des filles. Nous partageons aussi sur le thème de la parentalité et plus particulièrement sur l’allaitement. Akina allaite toujours sa fille de 2 ans. Au Japon, l’allaitement est encouragé et nous sommes toujours étonnés de découvrir des salles incroyables d’allaitement un peu partout. Je me rends compte alors de la discontinuité qui a eu lieu en Suisse au niveau de l’allaitement suite à l’introduction des poudres de lait. Ici, l’allaitement fait partie intégrante de la maternité. Les femmes ont d’ailleurs droit jusqu’à 3 ans de congé maternité et les pères 1 année. Même si les femmes prennent souvent 2 ans de congé, c’est encore très rare pour les hommes. Les 4 mois de congé maternité et 10 jours de congé paternité en Suisse sont toujours source d’étonnement. Puis nous sommes invités à la soirée des 35 ans de l’entreprise d’Akina, qui a repris il y a 4 ans ce que son papa avait construit. Elle nous explique qu’ils procèdent à la fabrication de pièces très spécifiques à haute précision, notamment pour les véhicules, mais aussi en lien au semi-conducteur. Elle nous parle de la découpe grâce à de l’eau sous pression dans laquelle il y a un peu de sable et de trou du diamètre d’un cheveu. « le mien ou celui de Nayla » s’exclame Fibie, « parce qu’ils ne sont pas de la même taille! »
Nous nous retrouvons ainsi avec la quarantaine d’employés invités au banquet de fête. Il y a une sorte de roast-beef, des sashimis ou poissons crus, de petits fours, du curry, du saumon, des nouilles frites. Toutes sortes de mets délicieux. Les filles courent pour tout goûter. Puis on vient nous servir un peu de bière selon la tradition. Xavier tend alors son verre à deux mains, la deuxième main en dessous du verre. Une autre personne lui verse le liquide doré. Puis Xavier prend la même bouteille et verse à son tour. L’ambiance est chaleureuse et quelques familles viennent parler avec nous. Même si nous nous améliorons chaque jour, nous regrettons que notre japonais ne soit pas courant. Nayla et Fibie jouent avec les enfants. Puis, elles vont spontanément demander si elles peuvent chanter pour dire merci pour la soirée. Elles se retrouvent alors avec un micro pour chanter en japonais devant toute l’audience, pour le plus grand plaisir de tous.
Au moment de partir, les grands parents viennent aussi nous saluer. La Grand Maman a eu connexion particulière avec Nayla et elles se serrent toutes les deux dans les bras, les larmes aux yeux. Puis, nous enfourchons nos vélos. Toute la famille fait de grands signes jusqu’au dernier embranchement de la route, où nous disparaissons derrière les grands arbres.
Céline, Xavier, Nayla et Fibie
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