Sous la lumière douce de la lune et le crépitement des braises, une simple soirée barbecue s’est transformée en une plongée inattendue dans le monde secret des alpinistes japonais et des amitiés sincères. Ce chemin à vélo à travers les 47 préfectures du Japon n’est pas qu’un défi sportif : c’est une traversée de cimes, de rencontres inoubliables et d’émotions brutes. Une odyssée où chaque virage, chaque col, chaque repas partagé éclaire un peu plus le sens de notre aventure.
À la lueur de la lune et des braises ardentes d’un barbecue, nous partageons la soirée avec Saya, Junji, Lisa et Kenji. Ibuki et Reiji, deux garçons de 4 et 2 ans sont en train de courir et jouer avec les filles. C’est la deuxième fois que nous rencontrons la famille de Saya et Junji. Ils nous avaient déjà accueillis lors de notre passage à Yamagata en 2023. Saya était alors enceinte de 7 mois. Cette fois, nous rencontrons pour la première fois Reiji, et découvrons leur nouvelle maison rénovée. Cela fait 2 ans qu’ils travaillent pour faire les rénovations seuls. Et le résultat est impressionnant. Nous nous entendons bien avec cette famille. Ils sont d’excellents grimpeurs et alpinistes et leurs deux garçons jouent dans le jardin, pieds nus dans la terre. Ce soir, nous plongeons ainsi dans le monde des falaises et montagnes, des voies de grimpe et des sommets. Nous apprenons alors que Junji Wada a reçu le Piolet d’Or Asia pour une voie qu’il a ouverte en Alaska. Cet award récompense des ascensions alpines exceptionnelles. Nous savions que ce couple était des grimpeurs hors pair, mais nous ignorons que cet homme est hautement respecté dans le monde de l’alpinisme japonais. Lisa aussi est une passionnée de grimpe. Elle participe d’ailleurs à la création et la traduction d’un livre de grimpe au Japon. En plus, elle est formée en tant qu’œnologue et a une passion pour les cépages peu ordinaires. Elle a d’ailleurs dégusté les vins de 160 cépages différents. Le courant passe au premier regard, et c’est ainsi qu’à la fin de la soirée, elle nous invite pour aller grimper et rester dormir chez elle. Demain, nous restons.
C’est notre plus petite journée de vélo 650m, moins d’un kilomètre. Lisa nous emmène à Yamadera dans les voies de grimpe. Les filles sont surexcitées. Saya et Junji nous ont prêté du matériel et Lisa a fourni le reste. Nous marchons sur un petit sentier au cœur d’une forêt luxuriante au feuillage de l’automne. C’est un entrecroisement de vallées et de sommets. Et plus nous grimpons, plus les lignes se chevauchent. Nous découvrons de petits champignons, blancs translucides. Lisa nous explique que dans quelques jours, la tête prendra la forme d’un cheval. « On dirait des chevaux fantômes avec leurs couleurs laiteuses, c’est incroyable ».
Cette fois nous arrivons face à la roche. Les voies sont engagées et il y en a peu de faciles. Principalement en dessus du 7. Fibie commence à grimper. Pourtant, il y a un vent glacial et la température effleure tout juste les 10 °C. Nous sommes tous motivés à nous élancer dans la falaise, à toucher à nouveau le rocher, à grimper. Le froid cependant est mordant, les doigts sont gelés et malgré la motivation, l’énergie, et les mouvements gracieux des filles, nous ne résistons pas longtemps. Changement de plan, les filles et Lisa ont prévu de prendre un bain chaud et de confectionner un désert pour ce soir.
Nous voilà dans le jardin de Lisa. Nayla et Fibie explorent les plantes. Elles y découvrent un trésor, des herbes aromatiques : de l’origan, du thym, de la sauge, du thym citronné, un laurier, de la menthe, de la ciboulette. « De la rhubarbe ! » s’exclame Fibie. Au Japon, ces herbes ne font pas partie de la gastronomie et sont rarement utilisées. La soirée est mémorable, les vins délicieux, la cuisine fabuleuse et le crumble des filles un régal. Nos hôtes sont passionnants. Kenji est professeur d’université et il est actuellement emballé par la pratique de la boxe. Lisa nous explique qu’elle a commencé à grimper à l’âge de 45 ans. C’est un souffle de légèreté que de rencontrer ce couple si passionné, qui ose ouvrir de nouvelles portes.

Nous repartons avec ce souffle d’énergie et de passion dans la vallée de Yamagata. Les premières lueurs du soleil apparaissent désormais avant 4 heures du matin. Alors au moment de traverser les montagnes pour rejoindre la préfecture de Miyagi, nous sommes sur nos vélos après l’aube, à 6 heures. Nous longeons une « Japan Eco Track », elle nous emmène au sommet du col à travers les montagnes luxuriantes et les forêts de cèdres. Les lumières teintent les paysages d’un éclat particulier, lumineux. Nous sentons aussi que nous nous sommes dirigés plein nord. Il y a désormais des fleurs sauvages qui tapissent le bord des routes et les champs de hautes herbes. Nous grimpons facilement, inspirés par les paysages vibrants que nous découvrons. Puis nous plongeons de l’autre côté. À la descente, nous sommes surpris par la symphonie presque bruyante des cigales. Elles chantent le retour de l’été. Nous comprenons désormais pourquoi les Japonais associent ce chant à cette saison. Parce que nous aussi, nous commençons à avoir cette même sensation. Ce chant résonne dans cette vallée comme un hymne à une nature en pleine effervescence. Et nous aussi nous sentons comme des bulles de vie qui pétillent en nous.
Nous plongeons en direction du Pacifique, même s’il est caché par les dernières collines. Nous nous arrêtons à Kami pour notre pause de midi et c’est une délégation des autorités locales qui viennent nous saluer. Nous sommes à l’endroit exact du départ d’un Sea to Summit. Nous sommes alors invités à rencontré les jeunes de l’école qui font un cours de kayak et repartons avec une spécialité locale de la poudre de riz à transformer en mochi pour les sorties en montagne ou activité de plein air. Nayla et Fibie se battent pour malaxer cette pâte et y goûter.
Ce n’est qu’après 67 kilomètres et un record pour Fibie que nous arrivons dans un petit camping perdu dans la forêt. Il est au bord d’un petit lac bleu roi. Nous nous sentons apaisés dans un lieu sauvage et inspirant. Soudain Tomohiko San arrive avec son dynamisme et son humour. Tous installés sous la tarpe pour être protégés de l’humidité et du froid, nous rions et sommes ravis de revoir cet homme que nous avions rencontré à un Sea to Summit. Travaillant dans le domaine du tourisme pour la ville, il est désormais dans la section protection de la faune et la flore. Lui qui aime l’outdoor, il est ravi de passer du temps en forêt à observer les ours, notamment. C’est un système courant au Japon. Les employés sont re-localisés dans de nouveaux postes ou de nouvelles villes tous les 2 ou 3 ans afin de limiter les problèmes de corruption. Soudain, une autre symphonie commence. Le chant des grenouilles ou plutôt le beuglement des grenouilles mugissantes, on se croirait à côté d’un troupeau de taureaux. Toute la nuit, elles n’ont cessé de rythmer nos rêves.
Cette fois, nous avons rejoint une piste cyclable. Elle nous emmène sous un ciel changeant et dans un vent froid à découvrir une grande plaine tapissée de chaînes de montagnes. Pourtant, il y a un changement. Nous venons d’entrer dans la préfecture d’Iwate. La 47ième ! Nous avons roulé dans toutes les préfectures du Japon ! Le challenge de poser un pied dans toutes les préfectures est très prisés au Japon, alors nous nous sommes pris au jeu ! Nous hurlons, chantons, rions et décidons de célébrer ce soir. Et pourtant, cela ressemble à un de ces défis qui disparaissent au moment même où nous les avons atteints. Finalement, comme le panneau inexistant de la province d’Iwate, ce passage ne représente qu’un nombre dans le monde humain. Il ne témoigne pas du cycle du vivant, de la terre qui nous a accueillis. Il ne reconnaît pas les chaînes de montagnes que nous avons traversées, les volcans dont nous avons rejoint le sommet, les rivières tumultueuses que nous avons longées et les hommes et femmes que notre regard a croisés. Ce nombre ne parle par non plus de notre Japon. Notre Japon, parce que la terre se dévoile toujours avec le regard de celui qui la traverse, suivant les silences de son souffle. Les rencontres sont teintées des émotions qui nous ont traversés, les lieux ont dévoilé leur secret ou ont gradé leur trésor. Alors ce soir, plus que la 47 ième préfecture, c’est surtout l’ode à ce chemin, qui se dévoile au fur et à mesure que nous avançons. Alors, le long d’une journée interminable, des odeurs surprenantes et exquises nous rappellent à la magie de la découverte. Des centaines d’acacias en fleurs nous invitent dans cette nouvelle préfecture. Nous respirons à pleins poumons afin d’humer la délicatesse des arômes et effluves.
Pourtant, à force d’en avoir fait notre chemin et notre vie, nous oublions presque de saluer l’exploit des filles. Fibie a roulé dans chaque préfecture du Japon. Et Nayla a pédalé d’Okinawa à Hokkaido. Elle est la première enfant, à 11 ans à avoir rejoint toutes les préfectures du Japon uniquement à vélo ! C’est une première !
Fumi Yamamoto san vient de nous rejoindre dans un petit parc où nous avons planté notre tente. C’est notre ami d’Aomori, celui qui nous avait invités pour la célébration du célèbre festival de Nebuta. Nous avons déjà rencontré toute sa famille et nous nous réjouissons de les retrouver à Hachinohe. Son rire est communicatif, c’est un passionné. Il arrive alors avec 6 kilos de tomates cerises qui proviennent de la ferme de ces beaux-parents, des onigiri ou boules de riz ainsi qu’une soupe au légume qu’il a préparé dans laquelle une spécliatié de sembé, des sortes de crackers, y est ajoutée. Vu le temps pluvieux et froid de ce soir, c’est parfait. Nous passons une incroyable soirée tous ensemble à célébrer notre arrivée à Iwate.
Toute la nuit, les nuages n’ont cessé de déverser de la pluie. À l’aube, le temps est encore pluvieux. Une pluie battante, glaciale, un vent hurlant. Nous sommes dans le froid et l’humidité. Et la semaine prochaine n’annonce rien de plus sec. Nous sommes encore en doudoune. Les hauts sommets enneigés au-delà des premières collines en sont les témoins. Pourtant aujourd’hui, la perspective de cette semaine de pluie n’est guère réjouissante. Nous sommes obligés de revenir au moment présent. Un instant après l’autre, une averse après l’autre, il n’y a pas d’autres alternatives. Nous essayons de nous rassurer en nous rappelant que la seule constante est le changement. Le soleil fera tantôt son apparition... Nous en sommes certains. Pourtant, nous sommes face à une indécision. Allons-nous passer au cœur des montagnes par ce temps ? Allons-nous rejoindre le petit lac Tazawa ou passer au pied du volcan actif d’Iwate ? Le lac nous appelle pourtant la météo semble capricieuse....
Céline, Xavier, Nayla et Fibie
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