Nous croyions que cette journée au bord du lac Towada serait paisible. Et pourtant… une question lancée à la volée a tout changé : « Et si on montait jusqu’aux volcans ? » En moins de deux heures, nous étions sur nos vélos, prêts à grimper cols et sommets, à travers forêts, torrents et névés surprenants. On ne savait pas encore si la météo tiendrait, ni si nos jambes suivraient. Mais quelque chose nous poussait à tenter l’aventure…
Une petite route nous emmène au cœur des montagnes. Dans la végétation luxuriante, nous grimpons un kilomètre après l’autre. Ce chemin nous guide vers un petit passage, un col pour rejoindre le lac Towada. L’effort est intense, mais le chant des cigales et celui des oiseaux nous offrent un peu de réconfort. J’aime la musique de la nature, qui entrecoupe le profond silence. Les deux me permettent de rejoindre un espace de sérénité, où tout s’apaise en moi. Après un dernier passage raide, nous arrivons au col. Le bleu roi du lac se dévoile au centre des montagnes. C’est un lieu particulier. Le lac Towada est une caldeira formée par deux cratères, il est entouré par les parois abruptes de ce large volcan. Ces éruptions volcaniques ont créé les paysages que nous découvrons aujourd’hui. La route serpente dans une descente raide, puis nous longeons le bord du lac, plongés dans la forêt.
Nous campons à quelques mètres de l’eau limpide. Une minuscule péninsule se détache. Elle est verte, lumineuse, tapissée d’herbe et un seul arbre s’y déploie face au bleu cyan du lac. Nayla et Fibie se trouvent instantanément attirées par ce lieu particulier. Les pieds dans l’eau, elles recherchent les animaux aquatiques qui y vivent. Pourtant, le vent s’est levé, un puissant souffle froid crée des vagues noirs dans l’eau. Nous sommes à nouveau en doudoune. Au moment de rejoindre notre tente pour la nuit, nous jetons un coup d’œil au ciel, comme à chaque fois. Il est incroyablement étoilé. Un tapis noir illuminé par les milliers d’astres.
Au réveil avant 5 heures du matin, le lac est lisse, un miroir. Le lieu est baigné par une douce sérénité. Un espace de paix et de pure beauté. C’est relaxant, inspirant. Nous avons prévu d’y passer la journée et ce prélude est parfait. Je médite assis sur un rocher dans le lac. Je me laisse traverser par les énergies du lieu, avant de poursuivre mon apprentissage de la langue japonaise. Puis, avec Xavier, nous étudions la carte pour la suite de notre itinéraire. Il y a un passage possible par un col en altitude qui passe au pied des montagnes. Évidemment, nous sommes attirés par cette voie, mais la dénivellation est importante, près de 1’000 m. Pour Fibie, cela représente un gigantesque effort. Alors que nous hésitons, une idée encore plus folle nous traverse. Pourquoi ne pas essayer de gravir le massif de Hakkoda. Soudain, nous imaginons la possibilité de rejoindre le sommet des volcans en deux jours. Un jour pour monter le col à vélo et marcher le lendemain jusqu’au sommet.
« Eh les filles ! Est-ce que ça vous dit de rejoindre les volcans ? »
Un « oui » limpide résonne dans le silence.
Il y a tout de même un bémol. « Je viens de regarder la météo » explique Xavier. Nous avons une fenêtre météo d’un jour et demi uniquement. Pour suivre cette idée, il faut que nous partions avant 8 heures, soit dans moins de 2 heures. Et il nous faudra commencer à marcher dès 6 heures demain afin d’arriver au sommet avant que le ciel ne commence à se couvrir. Est-ce que vous êtes partantes ? »
« Quoi !? » « On ne va pas pouvoir rester un jour ? Nous allons devoir partir ? Ah NON ! » S’exclame Fibie. « Moi je reste, je veux jouer vers le lac ». « Vous aviez dit qu’on restait un jour ! »
C’est vrai que ce matin, la sérénité du lieu est envoûtante. L’envie de rester est présente, mais avec la météo, même si on ne marche pas, on risque de faire le col sous la pluie.
« Et si on faisait notre propre Sea to Summit ? « lance Xavier. « On nage dans le lac, on pédale jusqu’au col et on gravit le sommet ? »
Fibie change d’avis, elle est soudain toute motivée.
Cette fois, c’est parti. On se motive pour plonger dans l’eau cristalline du lac. D’une profondeur de 327 mètres, il a une forme de pattes d’ours dû aux deux cratères qui l’ont formé. Le contact avec l’eau froide coupe notre respiration. Nous faisons quelques brasses et on ressort. Fibie a négocié de pouvoir jouer vers la péninsule pendant que nous plions le camp. À 8h10, nous sommes prêts sur nos vélos.
Nous longeons le lac jusqu’à rejoindre la rivière Oirase. Nous sommes alors dans les gorges d’un ruisseau féérique qui serpente dans une forêt verte lumineuse. L’eau limpide s’écoule parfois dans des rapides et serpente entre les rochers noirs. Parfois elle s’élance dans des sauts, à chaque cascade. Sur près de 15 kilomètres, nous roulons au bord de ce torrent chantant. La flore est incroyable, un vert intense. Sauf que, cette fois, les forêts sont composées de nouvelles essences, celle du nord, des êtres, des chênes, des érables à larges feuilles. Les fougères parent aussi ce monde mystérieux. Le lieu est apaisant, comme si nous pénétrions un sanctuaire naturel grâce à ce vert luisant qui nous enveloppe.
Il est temps de bifurquer. Nous sortons de cet univers, pour nous lancer dans la montée du col. Dès les premiers coups de pédale, la pente est raide. Les muscles chauffent. Notre esprit est encore plongé dans la douceur des gorges Oirase, mais notre corps nous rappelle à l’instant présent. Nous percevons alors le changement de végétation au fur et à mesure de notre ascension. Dans les parties les plus raides, nous retournons aider Fibie et parfois Nayla. Surtout, nous les encourageons et les distrayons. Souvent, elles nous demandent d’inventer des histoires et de les raconter le long de la montée. Pas toujours simple d’être créatif en plein effort, c’est vraiment un exercice. Surtout que les histoires peuvent durer plus d’une heure. Fibie donne l’animal qui sera le personnage principal, définit le lieu et la problématique. Et voilà! c’est à moi de composer. Et depuis quelque temps, c’est chacun à son tour de conter de nouvelles aventures imaginaires, parfois en français, mais souvent en anglais.
« Akita the bear», qui adore manger les myrtilles, reste une des histoires préférées, avec à chaque fois de nouvelles versions. Ils perturbent la communauté et l’équilibre naturel en prenant toutes les myrtilles. Alors ces compatriotes essayent de trouver une solution pour lui faire comprendre son comportement. Entre échecs, aventures, pièges et communication, une voie se présente finalement à eux dans un retournement de situation insolite. Nayla, quant à elle, aime écouter des podcasts, le dernier portait sur la communication entre les arbres dans « Brains On ».
La montée est entrecoupée par le repas de midi et quelques pauses. Nous mangeons sur un chemin interdit à la circulation, le seul endroit plat et sans végétation. Il y a des ruches en contre-bas. Les moustiques ne sont pas encore arrivés par contre nous avons droit à de petites mouches noires dont les piqûres démangent pendant 3 jours. Heureusement, elles ne sont pas trop agressives aujourd’hui. Comme à chaque fois, nous sortons notre réchaud à essence et préparons le repas. Nous avons pris de l’eau au dernier point et l’avons transportée jusqu’ici afin d’en avoir suffisamment pour la montée.
Après cette courte pause, nous poursuivons. Cette fois, les arbres sont courbés, biscornus. En observant le paysage, nous devions que cette région reçoit de grande quantité de neige. D’ailleurs, le sol est la confirmation qu’elle vient tout juste de fondre.
Nous montons encore. Cette fois, nous avons rejoint les névés. Soudain, un des cônes volcaniques des monts Hakkoda se dévoile. Encore partiellement enneigé, c’est majestueux. Cela donne un coup d’accélération aux filles.
Il est 16 heures lorsque nous arrivons finalement au pied des monts Hakkoda. Le paysage est incroyable. Nous sommes en zone alpine sur un gigantesque plateau de zone humide. Ces espaces sans arbre offrent un dégagement sur ce complexe de volcan actif et ses hauts sommets. Il fait partie des montagnes Ōu, qui sont la plus grande chaîne du Japon. 500 km s’étendent des volcans Nasu dans la préfecture de Tochigi jusqu’à la péninsule de Natsudomari à Aomori traversant ainsi la région Tōhoku du nord de l’île de Honshu. Exactement le trajet que nous venons de réaliser depuis Nikko jusqu’à aujourd’hui, soit 2 mois à travers ces montagnes.
Les monts Hakkoda se déploient face à nous. Ils consistent en 14 strato-volcans et dômes de lave qui sont séparés en deux groupes volcaniques. Le groupe sud et celui du nord. C’est dans le groupe nord que se trouve le plus haut sommet, le Mount Odake qui s’élève à 1'585 m d’altitude. Vu les conditions climatiques dans cette région du monde, le climat est déjà alpin à cette altitude et il reste encore beaucoup de neige sur les pentes nord. L’hiver, les conditions sont rudes, avec des chutes de neige abondantes et des températures pouvant chuter jusqu’à -40 °C, provenant des courants de la Sibérie. C’est ainsi que les monstres de neige deviennent les gardiens du lieu. Les sapins Aomori se transforment en statue de neige et de glace. Mystérieuses, démoniaques ou envoûtantes, elles sont surtout les témoins des terribles tempêtes qui soufflent sur ces sommets. Ce lieu est d’ailleurs celui d’une grande tragédie. En 1902, 199 soldats de l’armée de terre japonaise sont morts dans un terrible blizzard, pris au piège. Seul 11 vont survivre, dont le caporal Fusanosuke Goto. Premier survivant à être découvert, il a emmené les secours à retrouver la troupe entière. Une statue lui a été dédiée au pied de la montagne.
Nous ne sommes pas encore au col. Nous passons tout d’abord devant les zones humides d’altitude. L’énergie est celle du Grand Nord, avec de petits sapins et un paysage qui s’étend dans des dimensions gigantesques. Les marais accentuent encore cette impression. Face à nous, six volcans se déploient, c’est majestueux. Refuge pour de nombreux ours, nous sommes aux aguets, pour espérer en découvrir un. Après un dernier passage raide, nous arrivons finalement au col. Mais nous n’avons rien trouvé pour dormir en chemin. Nous avons un filtre, nous aurions pu filtrer notre eau dans une rivière. Nous sommes déçus, nous devons poursuivre. Ces terres humides n’offrent aucun lieu pour camper.
Nous entamons la descente 2 kilomètres jusqu’à rejoindre le bâtiment de l’office du tourisme et le onsen de Sukayu. Selon la légende, un cerf serait venu se guérir dans cette eau de source volcanique, et aurait guéri ces blessures. Nous sentons d’ailleurs les gaz et une forte odeur de soufre qui viennent par vague. Nous découvrons alors les fumerolles et un lac acide. Nous sommes au cœur des volcans. Le lieu est ainsi célèbre, mais à notre arrivée, il n’y a pas grand monde, juste quelques voitures sur le parking. Quelques personnes vont certainement dormir dans leur véhicule. Le camping n’est pas encore ouvert. Nous sommes trop tôt dans la saison. Nous décidons alors de dormir nous aussi vers le bâtiment et préparons la nourriture que nous avons transportée.
À 5 heures du matin, nous avons déjà démonté la tente et sommes en train de déjeuner. La fenêtre météo s’est encore raccourcie. Nous espérons arriver au sommet le plus tôt possible. À 6 heures, nous marchons. Nous suivons un sentier dans des buissons d’environ 2 mètres de haut. Nous avons la sensation de plonger dans un labyrinthe naturel. Le chemin est boueux, nous essayons d’éviter les flaques d’eau au maximum, mais nous chaussures deviennent de plus en plus boueuses et humides. Nous glissons par moment, sautons de pierre en pierre, devons nous baisser pour passer sous les branches. Notre progression est lente.
Puis, nous avons des passages de névés, heureusement, la neige est déjà molle. Nous poursuivons sur des accumulations de neige, puis dans un passage dans les gorges et traversons le torrent. Enfin, nous rejoignons les zones humides et la vue sur les cratères est impressionnante. Cette fois, la face nord est visible, dévoilant l’abondance de neige. Nous rejoignons ensuite une source naturelle où nous nous désaltérons. Maintenant, une pente totalement enneigée nous permet de rejoindre l’arrête. Une mystérieuse ombre se déplace rapidement dans le terrain difficile, nous pensons tous à un ours.
Mais il disparaît sans laisser aucune trace, nous laissant avec nos doutes. La dernière pente est raide, avec de nombreuses pierres et rochers. Lentement, nous prenons de l’attitude et la vue est majestueuse. Finalement, à 9 heures, nous arrivons au sommet ! Euphorique, nous avons réussi notre Sea to Summit !
L’effort a été incroyable, mais le panorama qui nous entoure est fantastique. Nous sommes au cœur des volcans. Une puissante énergie nous embrasse, elle est sauvage, farouche et porte les senteurs du Grand Nord. Nous contemplons ce lieu inspirant et mystérieux. La grandeur du panorama nous offre une sensation d’exaltation. Nous remercions tous d’avoir pu gravir le sommet. Les gardiens du lieu nous ont laissé passer.
Pourtant, le ciel commence déjà à se couvrir. Il est temps de redescendre. Nous décidons d’emprunter un autre chemin en faisant une boucle. Nous espérons simplement que les passages sur les névés ne seront pas plus engagés.
Le sentier passe par de nombreuses zones humides qui offrent un dégagement incroyable à chaque fois. Nous découvrons aussi le lysichite blanc, avec sa magnifique coupole blanche et sa forte odeur parfumée. Une fleur particulièrement appréciée des ours. Puis nous poursuivons notre descente à travers le terrain accidenté, dans les buissons et les forêts jusqu’à rejoindre nos vélos. Nous décidons alors de poursuivre la route afin de profiter de la vue lors de la descente et de rouler avant les premières pluies. Pourtant, la route ne fait pas uniquement que de descendre et à chaque montée nos jambes sont lourdes et douloureuses. Soudain, nous découvrons un gigantesque terrain, un plateau d’altitude illuminé de fleurs sauvages, presque inédit au Japon. Nous plantons alors la tente à 15 heures sous un gigantesque tilleul. Cette essence nous surprend, nous sommes intrigués par sa présence ici.
Face à nous, le complexe volcanique des monts Hakkoda nous offre un panorama incroyable puis petit à petit il disparaît dans les nuages sombres. Nous sommes transportés de joie d’avoir pu traverser cette région incroyable, embrasser par la puissante énergie de ces terres sauvages.
Céline, Xavier, Nayla et Fibie
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