La route se faufile entre les montagnes qui plongent dans la mer du Japon. Sinueuse, elle serpente le long des presque-îles se décrochant dans les flots. Nous devinons les couleurs turquoise et l’émeraude de l’eau, mais la luminosité devient de moins en moins forte. Les nuages se rassemblent, lourds, épais, soudain la pluie tombe, d’un coup, dense, ruisselant. Nous nous réfugions alors dans un onsen, les joies du Japon. Le bassin extérieur s’ouvre sur une mer immense. C’est à couper le souffle.
Nous rejoignons ensuite la plage, près du pont de Tsunoshima. Aujourd’hui, le souffle impétueux du vent soulève des vagues gigantesques. La mer est déchaînée. Nayla et Fibie jouent d’abord dans le sable, puis irrésistiblement attirées, elles s’approchent de l’eau salée. Lentement, elles y mettent les pieds. Quelques minutes plus tard, elles rient en défiant le va-et-vient des vagues, qui par moments, les attrapent. La mer semble se prendre au jeu, répondre à ce souffle d’innocence et de légèreté. Pourtant face à nous se dresse aussi son caractère intransigeant. Les vagues s’entrechoquent, violemment au point de convergence des courants. Avec la brutalité du vent, il fait froid. Nous sentons lentement cette saison approcher, celle où l’électricité de notre dynamo est principalement utilisée pour recharger nos lampes, celles où nos doudounes deviennent notre deuxième peau.
Ce soir, les nuages recouvrent la magie des étoiles, la nuit est dense, sombre. Et nous sommes enveloppés par le bruit ténébreux des vagues. Pourtant, nos nuits sous tente nous relient intimement au monde naturel, au cycle organique. Nos corps puisent alors l’énergie de cette saison, nourrie des couleurs flamboyantes qui lentement embrasent les arbres de mille soleils incandescents.
Le lendemain, les filles insistent pour traverser sur le pont. Le vent hurle, il siffle, nous donnant la sensation de traverser le hurlement strident d’une tempête. Les vibrations et bruits marquent la puissance du souffle. Ils deviennent inquiétants. Ce sont des sons que l’on associe instinctivement au danger. J’essaye de percevoir si une tempête se prépare, juste au-delà de notre horizon, mais je comprends vite. Ce sont les barrières de protection qui résonnent sous les rafales. Cette mer, connue pour être idyllique, révèle aujourd’hui son caractère intransigeant. Sur la petite île, les rochers stoppent les courants, dont les vagues explosent en milliers de gouttes. Il y a une puissante énergie, presque brute, que nous abandonnons lentement.
Nous quittons la côte pour entrer dans les terres, suivant des routes étroites qui se faufilent dans les forêts aux pentes escarpées. Nous jouons dans le relief, suivant les rivières, montant sur les crêtes, traversant à flanc de coteaux. Porter par ces courbes, nous baignons dans les paysages d’un Japon montagneux qui nous fascine.
Nous ne sommes certainement pas devenus japonais, ce n’est pas là notre destinée. Nous avons simplement appris à respirer à l’unisson avec cette terre. Nous avons appris à reconnaître sa note, son unique accord. Nous nous sommes perdus dans ses campagnes, dans ses vallées, dans ses montagnes. Nous avons traversé son territoire sous le regard de ses traditions et des maisons aux toits relevés. Nous avons écouté ses légendes, vibré avec le cœur battant de son âme. Nous ne connaissons pas tant les grandes villes, mais nous avons senti l’odeur de ses forêts, entendu le murmure de ses rivières et observé la danse nuptiale de ses lucioles. Nous avons suspendu des kakis pour les faire sécher, ramassé ces yuzus pour en faire du thé et planter du riz.
Nous avons appris de sa terre de feu, de l’odeur de soufre de ses volcans, de la force de ses tremblements de terre. Nous ignorons le refrain du dernier groupe de J-Pop à la mode ou l’ambiance des karaokés populaires, par contre nous avons participé aux danses rituelles shintoïstes, les Kagura, dans un sanctuaire perdu au creux des montagnes, nous nous sommes purifiés sous une cascade glacée avant de gravir la montagne sacrée d’Ishizuchi. Nous avons suivi des sentiers délaissés, oubliés, pour retrouver les notes singulières de ce monde enveloppé par les kamis. Parfois, nous avons la sensation de rouler au cœur des studios Ghibli comme dans Totoro.
Au moment de la pause, c’est un temple qui nous accueille. Nous y rencontrons le moine, sa famille, leur sourire radieux. Ils nous offrent quelques kakis et plusieurs mandrins. En pleine saison, les saveurs sont incroyables, les fruits juteux, gorgés de l’énergie du soleil, nous donnant l’énergie de poursuivre.
Ce soir, nous déposons notre tente au-dessus du lac Toyota. Enfoui au cœur des montagnes, son eau indigo se devine à travers les arbres aux couleurs lumineuses. Les érables commencent à s’embraser de nuances orangées, contrastant avec leur vert vif. L’odeur des champignons parfument le sous-bois. Autour de nous, la forêt craque, murmure, respire. Chaque craquement et chuchotement poursuit la symphonie du vivant, de la faune qui nous observe à distance.
Aux premières lueurs de l’aube, au moment de sortir de la tente, un grand mâle nous observe, un cerf, majestueux. Il est là, à quelques pas. Le regard perçant. Il ne bouge pas, seule sa respiration crée une volute de fumée. Il est imposant, souverain, serein. Il est le maître tranquille de la forêt qui semble retenir son souffle. Il est venu nous saluer, dignement. Il repart au pas, levant ses antérieurs avec amplitude. Il traverse le flanc de la colline, lentement, dans ses mouvements nobles. Puis il nous offre un dernier regard, avant de disparaître.
Les filles se lèvent fatiguées, enveloppées dans leur doudoune. Aujourd’hui, depuis longtemps, le ciel est d’un bleu roi éclatant. Les rayons du soleil nous offrent cette promesse de nous réchauffer rapidement. Nous traversons un pont suspendu, tendu au-dessus des flots cristallin et enfoui au cœur d’une forêt, où chaque feuille brille comme une étincelle. Puis nous descendons la petite route qui mène au lac, l’air est vif. Nos joues sont rouges, nos doigts gelés malgré nos gants.
Nous poursuivons dans les méandres du relief, jusqu’à la source de Beppu Benten. Passant sous un Torii rouge, nous découvrons le bassin de la source. L’eau reflète parfaitement les érables, et sa clarté est extraordinaire, dévoilant le fond à plus de 4 mètres de profondeur, ainsi que les petites bulles qui émanent de la source. Le plus impressionnant est sa couleur bleu cobalt et vert émeraude, si intense qu’elle en est presque irréelle. Le lieu est enveloppé d’une douce énergie. La statue de Kannon, la déesse de la compassion, est sculptée dans le creux du tronc d’un gigantesque cèdre, la fusion du bouddhisme et des traditions shintoïstes en lien aux esprits des arbres.
Nous poursuivons dans cette vallée, puis bifurquons le long d’une petite route rurale. Nous sommes surpris de découvrir les maisons traditionnelles au toit rénové. Ce petit village semble vivant, vibrant. Nous nous rappelons alors que la région abritait autrefois des mines de cuivre, d’anthracite et de calcaire. Lorsque nous arrivons au pied de la montagne, le chemin s’élève abruptement depuis la rivière Aokage. Nous grimpons alors en deux virages une pente de plus en plus raide, entre 10 et 15 %. Lorsque nous arrivons essoufflés au sommet, nous sommes émerveillés par le paysage unique qui se présente à nous.
Nous atteignons enfin les plateaux d’Akiyoshidai.
« Wow ! » s’exclame Nayla.
« Il n’y a pas d’arbre ! » remarque Fibie étonnée. Sur l’archipel japonais, un tel paysage est une singularité, la forêt tapisse chaque recoin de montagnes jusqu’à plus de 2000 m d’altitude. Ici, pourtant, ces formations karstiques s’étendent à perte de vue, un décor minéral, inattendu, presque irréel.
Céline, Xavier, Nayla et Fibie
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