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Du plateau d’Akiyoshidai aux vallées brumeuses


Le plateau d’Akiyoshidai s’étire. Une mer de calcaire et d’herbes ondulant sous le vent, elle est vaste, nue, intrigante. Les formations karstiques se dressent, avec leurs aspérités, comme des sentinelles pointant leur regard sur l’horizon.

Des collines s’élèvent en sommet, des dolines rappellent le monde souterrain calcaire. Notre première idée est de poser la tente dans cet espace où le ciel est notre seule limite. Pourtant, en suivant le petit sentier, nous comprenons vite que dans ce parc national, ce sera difficile. Nous rejoignons alors un sommet, face à ce paysage singulier, unique au Japon. Les lumières du crépuscule commencent à teinter le ciel.


Quelles sont nos options ? La tentation est forte, de dormir au sommet, mais un vent glacial s’est levé et nous n’avons pas suffisamment d’eau. Nous décidons alors de partir à l’aventure sur le sentier pédestre. Secoués, nous rions des soubresauts et jouons avec le terrain, seuls dans ce monde. Pourtant, nous n’avons pas le choix que de rejoindre les premiers arbres pour y planter la tente. Ici sous un gigantesque chêne, nous dressons notre maison dans la pénombre. Les premières étoiles illuminent déjà la nuit, et la pâle clarté de la lune caresse le plateau karstique. Les ombres dessinent alors le relief dans le profond silence.

Avant l’aube, nous choisissons de remonter, de retourner dans le monde d’Akiyoshidai. Nous prenons notre déjeuner à l’orée du plateau, face à des vagues de sommets, ces cimes terrestres et immobiles qui s’étirent jusqu’à la mer de Setouchi dans la lumière naissante.


Nous traversons ensuite les plateaux habités par le silence. Seul dans ce paysage éclectique, nous avançons entre les formes étranges sculptées par le vent, par le temps. Ces formations, immobiles, semblent être les gardiennes du lieu. Sur notre peau, nous sentons la chaleur du soleil et la légère brise qui fait danser les hautes herbes. L’automne est là, dans ces lumières éclatantes. Il nous offre la douceur d’une journée baignée de chaleur.


Quittant les plateaux, nous plongeons à pic, jusqu’à l’entrée de la grotte Akiyoshido. Le sentier longe la rivière aux flots chantants, entre les mousses vert vif. Nous avons l’impression de pénétrer dans un sanctuaire naturel, un passage vers l’antre du sacré. Devant nous, un bassin apparaît. L’eau y est limpide, aux reflets bleu turquoise et émeraude. C’est ici que la rivière sort de son passage souterrain, de la bouche rocheuse ouverte de la grotte. Un petit pont japonais rouge vif y mène, alors que les érables écarlates apportent une touche de contraste à ce monde minéral.


Lorsque nous pénétrons dans la grotte, la pénombre nous accueille. Nous remontons le ruisseau, et explorons ce passage minéral aux gigantesques espaces. La roche a façonné des sortes de rizières en terrasse, de petites étendues d’eau qui reflètent la pâle lueur comme des miroirs. Des stalactites et des colonnes apparaissent, comme des formes mystérieuses qui vivent dans un autre temps. Nous entrons, effleurons la lenteur du temps minéral. Sur plus de 10 km, cette cavité serpente dans le monde souterrain, à 100 m de profondeur.


Soudain, l’arrivée en masse de groupes guidés altèrent la magie. Les voix résonnent dans les espaces, amplifiées. Le profond silence s’est envolé. Nous nous échappons, fuyons. Nous ne gardons que l’émotion subtile que cette grotte a révélée, le doux murmure du temps minéral.

L’arrivée dans la lumière extérieure est adoucie par le vert vif des arbres qui nous accueille à la sortie. Nous enfourchons nos vélos, et suivons une piste cyclable magnifique. Elle serpente le long d’une rivière sur un terrain que la culture japonaise a façonné, avec ses sanctuaires shintoïsme, ses maisons traditionnelles, ses rizières déjà récoltées où quelques brins recommencent à pousser. Elle nous emmène jusqu’à Yamaguchi, sans jamais entrer dans la ville.


Nous quittons déjà le monde urbain. Remontant la vallée, nous allons une fois encore entrer au cœur des montagnes, traversant vers les sommets les plus hauts de la préfecture de col en col. Les prochains jours seront intenses et le froid s’installe de plus en plus. Arrivés vers un petit sanctuaire shintoïste, nous mangeons sous un plaqueminier, l’arbre à kaki. Ceux-ci sont petits, mais vers le Torii, ils sont gros, mûrs, juteux. J’essaie d’en attraper un, mais ils sont inaccessibles. En secouant une branche, le fruit tombe et explose à mes pieds, si mûr qu’il est a complètement éclaté. J’abandonne, ces kakis-là seront le festin des oiseaux. Leur orange vif est pourtant le rappel de l’automne qui s’installe. Les feuilles prennent des teintes de plus en plus vives et colorées. Les érables s’illuminent d’un rouge éclatant.


Au prochain col, la route étroite s’élance au cœur des montagnes, grimpant directement le long de la pente. Nos muscles hurlent du poids des vélos. Nous rejoignons alors ce passage depuis lequel trois routes descendent. Nous empruntons la plus petite, celle qui remonte plus loin et rencontre la rivière. Nous y plantons la tente, sur quelques feuilles mortes. Avec les derniers rayons du soleil, Nayla et Fibie sautent dans les flots pour s’y baigner. L’eau est froide, leur sourire est radieux. Elles jouent alors dans le lit, bondissent de caillou en caillou, et vont se réfugier sur le banc de sable à chaque fois que leur pied l’exige avec l’intense sensation de brûlure.


Ici, nous sentons la respiration des montagnes, ce souffle paisible, et le regard curieux des ours, cachés dans l’épaisseur de la forêt. Cette nuit pourtant un vent brutal a fait danser les feuilles aux mille couleurs, dans un chant hurlant.


Le matin, nous repartons, dans un passage encore plus étroit, comme perdu dans des montagnes à n’en plus finir, enfouis dans les replis de la terre. La route disparaît dans la forêt à chaque virage, plus loin, encore plus loin.

Émergeant sur un petit plateau, il y a une ouverture, de l’espace, et quelques maisons traditionnelles. À ce même moment, une averse s’invite. Une pluie battante, froide. Un nouveau col s’étire en ligne de mire. Nous sommes déjà détrempés. Nous pensons à la chaleur du soleil des deux derniers jours, mais cette pensée disparaît comme la vapeur que nous soufflons désormais à chaque expiration. Le col est intense, il réchauffe nos corps, mais la descente aspire toute notre chaleur. Nous sommes frigorifiés. Nous nous arrêtons alors au pied d’un temple pour y boire un thé chaud. La pause est glaciale, pourtant la boisson apporte cette délicate chaleur à nos corps.


Puis un passage étroit se faufile à nouveau dans la montagne, nous plongeons encore et encore dans une descente à n’en plus finir. En pleine vitesse, Fibie glisse soudain sur des feuilles mortes et passe par dessus son vélo. Au moment de me retourner, je la vois à terre, criant. J’accours vers elle. Elle peut se relever, mais ses genoux et ses mains ont frappé le bitume avec violence, heureusement qu’elle portait des gants et des pantalons de pluies. Je commence par l’embrasser pour l’apaiser et libérer sa peur. Je lui donne ensuite de l’homéopathie pour aider ses hématomes, puis j’appose mes mains sur les parties douloureuses afin de transmettre de l’énergie directement au corps pour appeler le processus d’autoguérison.


Il pleut encore, nous poursuivons le long d’une vallée qui s’élargit. Les ginkos prennent des teintes jaune soleil, dans ce monde que la pluie rend terne. Finalement, nous trouvons un abri dans une petite gare d’un train touristique ouverte le week-end uniquement. Cette fois, ce sont des panneaux de serpent qui indiquent la présence de spécimen potentiellement venimeux. Vu la température, ils seront tapis dans les roches. Pour nous, cet abri est un soulagement. Il nous offre un petit espace au sec, même si rien ne va sécher cette nuit. Lentement, une légère brume commence déjà à s’installer.

Il a plu toute la nuit. Je m’attends à me lever dans un monde dissimulé dans un épais brouillard. Ce matin, l’air est froid, mais la vue n’est pas bouchée. Je suis soulagée. Il nous reste un dernier gros col, près de 1000 m de dénivellation positive. Après quelques kilomètres d’échauffement, nous entrons dans le vif du sujet. La pente s’élève abruptement, serpentant dans le relief, rejoignant de petits villages ou des sanctuaires shintoïstes isolés dans la forêt. Celui-ci nous accueille pour une petite pause, bien méritée. L’air est humide, la forêt révèle son odeur boisée de cèdre, une ambiance mystérieuse embrasse ce lieu où les érables sont encore vert vif.


Nayla et Fibie sont dans une énergie incroyable. Aujourd’hui, elle pourrait affronter les pentes les plus abruptes et les plus longues. Ce n’est pas tant leur corps un peu fatigué, bien qu’endurant des milliers de kilomètres que nous avons roulés cette année, c’est surtout leur état d’esprit. Ce matin, leur mental est d’acier. Elle grimpe facilement même la pente à plus de 15% qui se dresse maintenant face à nous. Puis elles poursuivent encore et encore dans une détermination sans faille pour rejoindre le sommet.

Nous repartons sous la pluie battante dans une descente au cœur de la forêt, les mains sur les freins avec les feuilles mortes qui tapissent le sol devenu glissant. Cette nuit, nous nous enfonçons à nouveau dans les entrailles de la forêt, blottis dans les replis secrets de la terre. Perdus au cœur d’une vallée isolée, sombre, la nuit est noire. La pluie ne s’arrête plus, comme si elle pleurait tous les mystères de ce monde. Nous sommes à cette croisée du temps, où les nuits sont longues, froides et interminables. Le regard perdu dans les volutes de brume, effacé dans un temps qui s’étire à l’infini, seule la pluie chante encore.

Céline, Xavier, Nayla et Fibie



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