Ces derniers temps, nous avons un peu disparu — la route, la pluie, les montagnes et les rencontres, l’édition de notre nouveau livre nous ont happés. De retour sur notre ordinateur, nous reprenons le fil de nos aventures.
À travers les fronts orageux, la mer qui s’étendait sous les bains chauds du ferry, et les rizières dorées, nous avons roulé jusqu’aux montagnes sacrées de Nagano. Toujours portés par la route, les rencontres et ces moments qui donnent envie de poursuivre.
Dès que nous embarquons sur le ferry, Nayla s'exclame:
- « En plus des onsens, il y a des saunas sur le ferry ! »
Surpris, nous entrons dans les bains et découvrons effectivement des saunas avec la vue sur l’océan. C’est une première. Après le rituel de la douche, nous entrons dans les bains. L’immensité bleue se déploie face à nous, les goélands font des acrobaties aériennes. Ils se rapprochent du bateau, et semblent vouloir jouer avec les angles des étages.
Puis soudain, un d’eux se rapproche dangereusement. Il se prend la ficelle quasiment invisible. Surpris, il tombe dans le bain, avec nous.
- « Le goéland est dans l’eau ! » crie Fibie.
Angoissé, il essaie de repartir, mais se débat dans la vitre. Nous sortons immédiatement de l’eau afin de prendre de la distance avec le goéland paniqué. Puis contre toute attente, il se calme et semble même prendre plaisir à se baigner dans l’eau à 40 °C. Il essaie de repartir plusieurs fois sans succès. Après une quinzaine de minutes, Nayla va alors essayer de le guider par la pensée en lui expliquant comment passer entre les ficelles. Quelques secondes plus tard, au premier essai, il reprend sa liberté.
À l’aube, nous rejoignons le port de Niigata. La première montée raide nous rappelle que nous sommes de retour à Honshu, tout comme l’humidité ambiante et les moustiques tigrés noirs et bleus. Pourtant, ce qui nous surprend le plus, ce sont les fleurs. À Hokkaido nous étions à l’aube des premières gelées de l’automne. Ici, nous retrouvons les senteurs fruitées des fleurs qui exposent leurs couleurs vives. Cette farandole de couleur nous réjouit. On se sent portés par la nature qui renaît après un été aux chaleurs étouffantes.
Le lendemain, nous faisons la course contre la pluie. Le front de nuages sombres s’approche. Nous dévalons les kilomètres le long des rizières jaunes dorées. C’est aussi la course pour la moisson. De nombreux champs sont battus, d’autres agriculteurs utilisent les méthodes traditionnelles et font sécher les épis sur des montants en bambous. Soudain, l’averse arrive. Le son de la pluie devient de plus en plus fort. La limite se déplace de plus en plus. Nous nous arrêtons pour mettre nos vestes et refermer les sacoches, avant que…
– « Il pleut » s’exclame Fibie.
L’averse s’abat sur nous. Il n’y a pas d’échappatoire sur cette petite route au cœur des rizières. Elle ne dure que quelques minutes, suffisamment pour que nous soyons détrempés. Heureusement, le vent s’occupe de nous sécher. Pourtant, un nouveau front se rapproche depuis la mer du Japon, qui s’étire sur notre droite. Nous espérons que le mont circulaire qui jaillit de la plaine va ralentir l’avancée du front ou l’arrêter. Nous accélérons. Quelques grosses gouttes nous rejoignent. Nous poursuivons sur la lancée. Les rizières défilent. Le front se déplace.
Nous longeons ensuite une rivière qui nous emmène droit sur la mer vers Teradomari et son marché de poisson, avec de nombreux spécimens intrigants, des crabes, des pieuvres, des dizaines de sortes de coquillages. Nous retrouvons Kimura san qui nous emmène dans un magnifique onsen dont le sauna s’ouvre sur la mer tumultueuse et le ciel ténébreux. En soirée, entourés de toute sa famille et ses amis nous partageons de savoureux plats japonais dans des discussions animées, qui navigue entre l’anglais et le japonais.
À l’aube, nous faisons nos adieux pour poursuivre le long de la côte. Nous suivons la mer du Japon, avec ses petits villages de pêcheurs aux maisons traditionnelles, parfois perchées sur les hauteurs. La mer est agitée et un vent violent nous pousse encore plus loin. Nous roulons entre les rouleaux des vagues et les hautes parois tapissées qui tombent à pic. Elles nous intriguent par l’enchevêtrement de plantes rampantes et luxuriantes, où se devine la jungle secrète de notre imagination. Puis nous quittons définitivement la côte pour entrer dans les terres.
Les montagnes se succèdent, tapissées d’une forêt sans fin. La route sillonne le long de leurs flancs, s’enfouit dans les tunnels et s’élève jusqu’aux cols. Et puis la pluie revient, inépuisable, s’abattant sur nous des heures durant. Une pluie lourde, diluvienne, qui nous traverse jusqu’au cœur. Il n’y a plus d’échappatoire : il faut accueillir le temps, s’y dissoudre. Les rivières, gonflées de nouveau, chantent, plus majestueuses encore. Le moral vacille à chaque halte, nous grelottons, presque soulagés de repartir. Pourtant, sous le voile de la pluie, la contrée dévoile son secret, sa vraie nature : la brume mystérieuse étreint la vallée et la beauté du monde s’y réinvente.
Sous une pluie devenue encore plus forte, nous atteignons l’onsen de Jonnobi — un mot qui signifie « détente » dans la langue du peuple autochtone Ainu. La vapeur s’élève doucement jusqu’à la charpente de bois apparente. Nous nous glissons dans l’eau brûlante, d’un brun rouille typique des sources riches en fer, jaillissant au pied du mont Kurohime. Depuis le bain extérieur, la vue s’ouvre sur les cèdres japonais. L’eau détend nos corps fatigués et l’air embaume de son odeur de terre humide. Peu à peu, l’averse s’adoucit : quelques gouttes tombent encore. Puis les cigales reprennent leur symphonie. La pluie s’est tue, du moins pour un temps.
Nous quittons les lieux dans la nuit noire et humide. Sur la route, nous retrouvons le petit abri repéré plus tôt. Nous y dressons la tente, étendons nos vêtements détrempés. Le brouillard nous enveloppe, lourd et silencieux — rien ne séchera cette nuit. Demain, il nous faudra renfiler nos habits mouillés. Mais pour l’instant, nous nous glissons dans la chaleur de nos sacs de couchage, simplement heureux d’avoir un abri.
Il faut un peu de courage pour repartir le lendemain, à l’aube. L’air est frais, humide, pédaler nous réchauffe peu à peu. En franchissant le dernier col, nous quittons cette vallée isolée pour rejoindre la grande plaine de la Chikuma. Devant nous s’étire la gigantesque rivière, d’un bleu profond, la plus longue du Japon. Elle a sculpté le paysage de ses larges méandres, serpentant lentement entre les montagnes.
À Iiyama, les paysages familiers nous rappellent l’hiver que nous avions passé ici. Le ciel, d’un bleu limpide, baigne cette région d’une lumière d’automne éclatante. Tapissés de rizières en terrasses, les grains dorés, prêts pour la récolte, se balancent dans la légère brise.
Nous atteignons enfin Togari Onsen, où nous retrouvons la famille Kanoe-san. Quel accueil chaleureux ! Shaw et Take, les enfants ont grandi, gagnés en assurance, mais les liens, eux, sont restés intacts. La complicité renaît aussitôt : les rires, les jeux, les élans spontanés.
Pendant ce temps, nous devons tout étendre : la pluie diluvienne de la veille a tout imbibé, lentement, jusqu’au fond des sacoches. Les tissus sont lourds, les livres de Fibie trempés. Nous devons les sécher patiemment, page après page, au souffle du sèche-cheveux. Pourtant, une profonde joie émane de nos visages, celle de retrouver nos amis. Pour eux, la pluie est un soulagement, elle s’était faite rare les deux derniers mois, au point de créer des tensions entre les petits producteurs de riz. Les terrasses du bas, n’étant quasiment plus alimentées avec suffisamment d’eau.
Le lendemain, nous participons au club de kayak et glissons dans le petit lac Hokuryuko, paisible et entouré de collines couvertes de cèdres. Nayla et Fibie pagayent avec les enfants. En ramassant des fleurs de lotus aux quatre coins du lac, elles apprennent la technique, le mouvement des bras, la coordination avec le souffle. Nous faisons halte sur une petite île où des statues rendent hommage aux sept divinités porteuses de chance. Puis, dans un éclat de rire, tout le monde saute à l’eau !
La température nous rappelle que l’automne est désormais là. Dans le souffle du vent froid, tous grelottent. Il est temps de bouger. Avec la famille Kanoe san, nous suivons le sentier sacré. Le paysage s’ouvre alors sur Kosuge, l’un des lieux les plus anciens et sacrés du nord de Nagano, plus de 1300 ans d’histoire.
Kosuge était autrefois un lieu de formation pour les Yamabushi, les moines-ascètes des montagnes pratiquant le Shugendo, une voie unique où se mêlent shintoïsme, bouddhisme et taoïsme, dans une quête spirituelle au cœur des montagnes.
Relativement caché, le mont Kosuge était un refuge discret, pour ces puissantes pratiques. À son apogée, plus de 300 moines y résidaient. La légende raconte qu’En-no-Ozunu, le fondateur du Shugando, fut attiré ici par l’énergie spirituelle et la beauté de la montagne. Dans une grotte suspendue à la falaise, il érigea un petit sanctuaire et entra en méditation. C’est là qu’il fut rejoint par les sept divinités protectrices de Kumano, Kinpu, Hakusan, Tateyama, Sannō, Izuyu et Togakushi. Depuis lors, les huit divinités demeurent vénérées dans l’ombre fraîche de la grotte.
Nous gravissons une à une les pierres taillées dans la roche, bordée de gigantesques de cèdres géants. L’air est chargé d’humidité et de parfum de terre. Le sentier s’élève raide au cœur de cette montagne sacrée. Puis le chant des cigales accompagne nos pas. Soudain, le temple apparaît, vibrant, complètement intégré au lieu. Les rires résonnent contre la falaise, portés par l’écho. L’air embaume la mousse et la résine. L’énergie du lieu est palpable — mystérieuse, puissante, presque vivante.
Un souffle mystérieux nous unit au sommet de la montagne, en présence de nos amis retrouvés. Il porte le message d’une amitié qui perdure au-delà du temps et des distances.
Puis vient le moment de redescendre. Nous célébrons cette amitié autour d’un repas partagé avec la famille d’Anego -san. Les rires, les histoires emplissent la soirée.
Avant de reprendre notre vie nomade, nous ne disons pas adieu, mais à bientôt, à ce jour, quelque part dans le futur, où nos chemins se croiseront à nouveau.
Nous repartons le cœur léger, portés par la joie de ces instants partagés, riches de cette chaleur humaine qui nous donne la force de poursuivre la route.
Céline, Xavier, Nayla et Fibie
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