Sous la pluie persistante de Shiretoko, mon dos douloureux se fait sentir à chaque coup de pédale. Par instants, le ciel se déchire, dévoilant des panoramas d’une beauté sauvage sur le Pacifique et les îles Kuriles. Entre la morsure du vent, l’humidité qui colle à la peau et les rencontres fugaces, le monde semble palpiter à l’unisson de nos corps éprouvés.
De la pluie, encore de la pluie. Sur la péninsule sauvage de Shiretoko, nous sommes face au col qui doit nous emmener du Pacifique à la mer d’Okhotsk. Pourtant, toutes les précipitations sont arrêtées par les montagnes et nous recevons le déluge de ces dépressions. Ce matin, nous allons dans le petit onsen naturel durant la seule accalmie. Il est à peine 7 heures du matin et nous sommes seules dans l’eau à l’odeur de soufre. Soudain, un morceau de ciel bleu apparaît. Instantanément, nous avons cette intime conviction: c’est le moment ! Peut-être que la fenêtre météo sera suffisamment longue pour que nous ayons une petite ouverture lors de la montée du col et surtout nous serons passés sur l’autre versant qui doit nous offrir davantage d’accalmies. Mon dos commence à souffrir de la fatigue et de cette humidité constante.
Alors on prépare les affaires, nous plions la tente détrempée, enfourchons nos vélos et on commence l’ascension. Lentement, nous prenons dans l’altitude dans des lacets qui montent abruptement. Pourtant, ce dont nous n’aurions pu rêver se matérialise. Le ciel se dégage complètement. Plus nous montons, plus la vue incroyable sur ce lieu si puissant s’ouvre. Les hautes montagnes plongent dans l’océan bleu cyan, dans des paysages cristallins. C’est grandiose. Nous découvrons aussi les îles Kurilles, qui sont encore aujourd’hui revendiquées par le gouvernement japonais, mais qui sont actuellement sous le contrôle administratif russe depuis la fin de la Deuxième Guerre mondiale. Nayla y voit surtout des espaces sauvages et inhabités. Des montagnes aux arêtes effilées, des volcans majestueux et actifs, des terres indomptées au cœur d’une mer tumultueuse, houleuse et puissante. Le cœur pulsant d’espace sauvage du Grand Nord. Elle s’y voit déjà y vivre, au cœur de ces îles isolées, somptueuses et austères. Cette vision, la magie du paysage, cette puissante énergie du Grand Nord, nous portent en haut du col, l’émerveillement insufflant force à chaque coup de pédale. Et c’est certainement cet effort qui rend le paysage si particulier, cette relation à la terre si forte, ces panoramas si inspirants, parce qu’ils ne sont pas gratuits. Ils ne peuvent être consommés, au contraire ils sont savourés, d’autant plus lorsque nous savons la chance infinie que cette fenêtre météo nous offre. Tout le long de la montée, nous nous délectons de ces vues qui nous donnent la raison de notre nomadisme, la gratitude du chemin.
Et lorsque nous arrivons au col, un vent subit se lève, portant avec lui les nuages qui engouffrent les sommets. La vue a disparu en quelques secondes. Mais pour nous, elle est toujours là, dans notre cœur. Dans les 3 heures que la montée a duré, le panorama était là, au-delà du brouillard.
Pourtant, le froid nous rappelle aux impératifs. Nous plongeons dans la descente sur l’autre versant. Arrivés à Utoro, nous montons le camp juste avant les premières averses. Cette fois, mon corps refuse. Lentement, tous les muscles de mon dos commencent à se tendre. Impossible d’arrêter cet élan, la douleur devient sourde, lancinante. Je peux à peine marcher, je ne tiens plus en place, aucune position ne soulage les muscles qui continuent de se serrer. Impossible de dormir, je ne ferme pas l’œil de la nuit, je ne peux même pas m’assoupir. Je fais des allées et retours sous la pluie, dévorée par les moustiques, dans la douleur que la nuit semble hanter.
Le lendemain, un couple m’emmène à Shari, dans le premier village qui possède un centre médical. Pourtant, c’est le week-end, il est fermé. Et lundi est un jour férié. Je suis toujours incapable de trouver une position qui soulage un tant soit peu mon dos. Je bouge continuellement, comme si mon corps m’imposait ce mouvement constant. Je n’arrive plus à me poser ni me reposer.
Finalement, mon corps arrive lentement à se calmer. Mon état d’urgence s’apaise. Je peux enfin dormir. Mon dos commence à se détendre. Je dors sur le sol comme si le contact avec la terre et le soleil m’aidait à renaître de mes cendres. Lentement, j’émerge. Nous cherchons les solutions, mais c’est la période d’Obon, la grande célébration familiale de l’été, rendre hommage aux morts et aux ancêtres de la lignée. Alors les options sont quasiment inexistantes ou exorbitantes, pas d’hébergement, pas de voiture à louer. Nous restons ainsi dans ce petit camping. Il est ouvert, et offre la vue splendide sur la montagne de Shari. Le gigantesque espace vert pour jouer est une invitation à renouer avec les énergies de la Terre, à faire à nouveau confiance au chemin et en la vie.
Pour Fibie, c’est aussi l’occasion de savourer le passage de ses huit ans, pleine de vie. Nous sommes vraiment impressionnés par la persévérance dont elle fait preuve, par sa force non pas physique, mais mentale. Définitivement, nos enfants sont nos plus grands maîtres. Ils nous montrent les limitations de nos propres croyances, les barreaux de nos propres prisons. Et s’il suffisait de leur faire confiance ?
Quelques jours plus tard, nos amis de Tomakomai nous rejoignent. Plus de 400 km aller pour venir à Shari. Ils montent leur tente et nous faisons des pizzas maison que nous grillons au feu de bois et aux charbons. La soirée est mémorable et nous sommes réellement touchés par ces amitiés qui se nouent aux quatre coins du Japon et du monde, tissant une toile qui unit au-delà des cultures, des régions, des religions et des croyances. Finalement, d’un monde que nous créons au-delà des murs invisibles, simplement de cœur à cœur. Leur amitié nous touche et lorsqu’ils repartent nous nous sentons honorés d’être entourés d’amis même dans les recoins de la terre.
Céline
Xavier, Nayla et Fibie
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