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82 km à vélo et pas un phoque en vue


Le Pacifique rugit, le vent nous bouscule, et les montagnes plongent dans l’océan. Ici, la nature ne se contente pas de nous entourer : elle nous traverse, nous secoue et nous laisse ivres de vie. On avait prévu un tête-à-tête avec des phoques… mais c’est le vent du Pacifique qui nous a pris dans ses bras, nous offrant à la place des rencontres inattendues avec renards, grues et rapaces majestueux.


La côte devient de plus en plus accidentée. Nous grimpons la dernière montée jusqu’au sommet de la crête. Puis un vent violent, brutal nous chahute. Il transporte de l’humidité en abondance et compose des nuages mouvants, une sorte de brume qui se déplace à une vitesse phénoménale. Pour une fois, le souffle du vent devient visible, palpable. Il est fougueux, impétueux. Ballottés par cette force qui nous arrive de plein fouet sur notre droite, nous agrippons notre guidon pour maintenir le cap. Nous allons rejoindre le cap d’Erimo. Cette pointe au milieu du Pacifique que seul le vent habite, du moins, c’est ce qui se dit. Il y a tout de même un petit village de pêcheur lové dans la baie en contrebas, à l’abri des vents les plus violents.


Soudain, derrière un faisceau de nuages blanc apparaît le cap. Des formations rocheuses de plus en plus petites créent une pointe qui se poursuit jusque dans le bleu indigo de l’océan. Il y a une telle puissance dans ce lieu. Nayla et Fibie, même après 70 km à vélo, sont intenables, comme portées par l’énergie décuplée du cap. Elles courent sur le petit sentier le long des crêtes pour rejoindre les falaises. Elles espèrent y découvrir quelques phoques. Une colonie de plus de 400 individus y vit à l’année. Elles sont euphoriques, je suis émue. Il y a une telle vitalité, une telle beauté dans ce recoin perdu du monde. Au-delà des formations rocheuses originales, au-delà des remous chantant du Pacifique, au-delà de cette vaste immensité bleue lumineuse qui s’ouvre à perte de vue, le vent teinte l’expérience d’un souffle de nature brute, sans équivoque. Ici, ce n’est pas un jeu, nous sommes face à la puissance de la Terre et de ses éléments. Mais cette force, c’est aussi elle qui nous traverse. Ce souffle de vie qui nous rend vivants, bien au-delà de ce que l’on imagine parfois. C’est peut-être cela d’accepter que la vie nous traverse, de sentir cette intime puissance allumer toutes les cellules de notre corps, de vibrer à l’unisson avec la vigueur du vent et de s’accorder avec la force prodigieuse du Pacifique.


Il fait froid, notre corps moite subit la violence du vent. Nayla et Fibie espèrent toujours découvrir quelques phoques. Ils doivent jouer dans les courants marins, parce qu’aujourd’hui aucun d’eux ne vient se réchauffer sur les rochers. Ce n’est pas un rendez-vous manqué, au contraire nous acceptons cette alternative. Ils sont sauvages, ils sont libres. Oui ! nous aimons lorsque des moments se transforment par alchimie en une rencontre bouleversante et inattendue. Mais nous la laissons libre de se matérialiser.


Nous faisons nos adieux à ce lieu, emmenant avec nous un peu de sa fougue, et sentant nos corps emplis d’une nouvelle vitalité. C’est certainement cette force, aidée par un vent de dos qui a permis à Fibie de rouler 82 km et les 400 m de dénivellation. Arrivés dans un petit espace protégé sous quelques chênes, elle n’arrive même pas à se poser, elle court dans tout les sens comme ivre de cet élan de force vitale brute.


Les montagnes plongent directement dans l’océan. Le seul passage en ce moment longe la côte puis traverse de longs tunnels qui nous emportent jusqu’à Hiroo. Nous apprenons alors qu’un tremblement de terre de 5,4 vient de secouer le parc national des montagnes d’Hidaka. A la même heure, il y a 2 jours, nous étions dans le tunnel de 5 km à quelques centaines de mètres de l’épicentre…


Il pleut. Un brouillard engloutit la côte. Nous roulons dans ces paysages sauvages qui se cachent derrière le temps maussade. Heureusement, un rayon de soleil illumine ce petit coin caché, entre le Pacifique et un petit marais. D’un côté, la forêt rejoint ce lac bleu cyan limpide comme un miroir, de l’autre les puissantes vagues du Pacifique crient sur le sable noir. Au sud, on distingue des kilomètres de falaises qui plongent dans ce titan. Le temps n’est pas au rendez-vous, par contre les animaux nous font des clins d’œil sur notre passage. Les renards et les cerfs nous regardent passer. Les magnifiques grues du Japon se baladent dans les champs en couple, unies à vie. Les larges rivières sont les témoins de ces espaces majestueux qui se déploient suivant les lois du vivant. Là, soudain un aigle, un pygargue à queue blanche nous regarde patiemment. Nous avons l’honneur de le rencontrer, cet être majestueux. Il y a bien quelques bâtisses, de temps à autre. Certaines abandonnées, perdues dans un temps qui n’existe plus. La réalité du Japon, sa décroissance en termes de population, atteint tous les recoins, surtout ceux reculés.


Dans la légère pluie, nous montons le camp. Nous sommes dans le territoire des ours, mais surtout dans celui oiseaux migrateurs. Cette région est un lieu privilégié dans leur migration. Un gigantesque marais s’entend jusqu’au pied des montagnes. Pourtant, c’est aux berges du Pacifique que la prochaine danse aérienne a lieu. Des centaines de goélands s’envolent dans le crépuscule argenté, avant de retourner vers la plage de sable noir où la colonie est installée.


Les kilomètres se poursuivent. Nous roulons beaucoup dans ces paysages que le temps mitigé rend par moment monotone. Puis ce sont les camions qui s’imposent. Nous arrivons vers l’unique centre de l’est, la ville de Kushiro. Heureusement, nous avons rendez-vous avec Saito Keisuke san dans l’institut de biomédecine pour les rapaces. C’était devenu une destination pour les filles. Nous avions rencontré le fondateur lors du Montbell Friend Fair à Yokohama cette année. Inspirant et passionné, il parle français, anglais, russe en plus de sa langue natale. Il a aussi fait de nombreuses expéditions dans des lieux reculés de la Sibérie. En tant que vétérinaire spécialisé pour les animaux sauvages, il a établi ce centre qui cherche à protéger les rapaces menacés, à soigner les oiseaux malades et accidentés, puis à les relâcher dans leur environnement naturel. L’institut est aussi destiné à effectuer des recherches scientifiques sur le terrain. Saito san a surtout la volonté de favoriser la symbiose entre les animaux et les humains. «Guérir les blessures causées par les humains est notre responsabilité en tant qu’être humain ». Ainsi, une des priorités est de réduire les empoisonnements au plomb qui proviennent des balles que les chasseurs utilisent, les électrocutions sur les lignes électriques ainsi que les accidents en lien au trafic ou aux pales des éoliennes qui sont invisibles pour les rapaces.


Nous découvrons alors son magnifique centre et musée. Surtout, nous avons la chance de pouvoir rendre visite aux oiseaux. Il y a des pygargues à queue blanche, dont un qui est prêt à être relâché. Nous découvrons aussi le pygargue empereur, un des plus grands rapaces connus. Il est incroyable avec son large bec orangé et ses jambes touffues. Il est imposant et digne et pèse jusqu’à 8 kg. Il se nourrit principalement du saumon, mais ses serres et son large bec lui permettent de tuer d’autres proies comme de petits phoques. Il vit à Hokkaido en hiver uniquement, sur la mer gelée de la côte de Kushiro, Nemuro et Shiretoko. En été, il rejoint le Grand Nord et le Kamtchatka. Ces êtres sont puissants et majestueux. Et certains devraient pouvoir être relâchés prochainement. Malheureusement, d’autres ne peuvent rejoindre les espaces sauvages. Saito Keisuke, en tant que vétérinaire, essaie aussi de trouver de nouvelles solutions. Il a par exemple fabriqué un bec artificiel pour un des aigles victimes d’une collision avec une voiture. Puis, les recherches de cette année ont aussi montré que la grande majorité des œufs de pygargue à queue blanche n’ont pas éclos. Il risque de n’avoir pas de petits cette année. Une réalité qui inquiète les scientifiques du centre.

Nous sommes ensuite guidés vers le Grand-Duc de Blackiston. Il nous regarde, alerte, ses aigrettes dressées et ses yeux perçants. Très rare, il est protégé. Uniquement 50 individus étaient recensés il y a une dizaine d’années. Suite à l’effort de conservation, il y en a aujourd’hui 200 sur l’île. Ce hibou imposant est un des symboles de la région. Il participe à l’incroyable biodiversité de notre planète, et représente cette part de mystère que ces êtres nocturnes insufflent.


Venir dans ce centre, c’est rencontré des espèces uniques ainsi que des hommes et femmes passionnés, qui sont engagés pour créer un futur harmonieux

Céline, Xavier, Nayla et Fibie


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